Hamas-Israël : démission et aveuglement

Le conflit qui oppose Israël au mouvement Hamas souligne l’atrophie intellectuelle et l’hystérisation politique qui caractérisent le monde dit arabo-musulman et révèle la régression idéologique qui gagne en Israël. 

La meute

Chez les « Musulmans » – c’est désormais le seul vocable qui identifie une personne vivant dans un pays où se pratique la religion islamique –, on entend des voix qui se distinguent par un suivisme et des raccourcis qui en disent long sur l’emprise de la mouvance islamiste sur les esprits. Pour les démissionnaires de la pensée, « Allah ou Akbar », crié dans une manifestation, n’est que l’expression d’une innocente piété. D’autres portent aux nues un footballeur, certes talentueux, mais au parcours rythmé par des comportements sulfureux et des propos plus que contestables ; ce qui ne justifie en rien le fait qu’un ministre de l’Intérieur ait trouvé le temps de cibler ce sportif sans donner les preuves qui étaieraient ses accusations. Et les amateurs extatiques de ces incongruités embrasent la toile. 

Un mot, un geste, un objet ou un habit ne veulent rien dire en eux-mêmes. C’est leur auteur, l’endroit et le contexte dans lequel ils sont prononcés ou portés qui leur donnent sens et interprétation. Le bras d’une personne qui se lève pour montrer la lune est différent de celui qui s’exhibe dans un groupe néo-nazi. C’est pourtant le même mouvement. Allah ou Akbar dit après une prière exécutée dans un domicile ou un site religieux apaisé exprime exactement le contraire quand il est proféré dans une manifestation, surtout quand celle-ci est organisée par des factions wookistes qui font de la victimisation de l’indigène un juteux fonds de commerce.

Raccourcis et marchandages

Une autre confusion fait florès. La légitimation des horreurs du 7 octobre exécutées par Hamas à travers le rappel des actions terroristes auxquelles ont recouru des organisations nationalistes comme le FLN, l’OLP, l’IRA ou l’ETA basque. Cette analogie n’est pas pertinente. Il convient de retenir que ces dernières opérations consistaient à poser des engins explosifs, quitte à provoquer des morts de civils, pour faire entendre une voix inaudible. Mais en aucune façon elles n’avaient revêtu l’aspect d’une action de masse qui viserait délibérément l’égorgement et le viol de femmes ou des décapitations d’enfants. Ce genre d’exactions avait été commis par des groupes islamistes en Algérie, par Daesch ou Al Qaida mais pas par des nationalistes qui revendiquaient des territoires et non des exterminations indifférenciées de populations du fait de leur religion ou de leurs opinions. Et cette connotation religieuse change tout. Ni le FLN ni l’OLP n’ont commis leurs attentats pour l’avènement d’un ordre islamiste, un dessein que ne cache pas Hamas. Ben M’hidi qui avait assumé les couffins de bombes avait présidé un congrès où il fut proclamé le fait que pour les patriotes algériens il ne s’agissait pas « de restaurer une théocratie ou une monarchie désormais révolues. » Enfin, les rares cas où il y eut carnage de civils souleva des vigoureuses controverses dans les rangs du FLN. Au congrès de la Soummam, les échanges entre Abane et Zighout – qui lança les attaques du 20 août 1955 contre des civils – furent particulièrement houleux. La même critique valut pour la nuit rouge de la Soummam. Plus tard, Melouza fut l’objet des mêmes condamnations. Affirmer que le terrorisme de masse fut une stratégie du FLN est une erreur historique et une faute politique.  

Un peu de retenue et de raison avant de se laisser aspirer par la haine n’a jamais fait de mal.

Quelques rares intellectuels ou artistes comme Boualem Sansal, Kamal Daoud, Sofia Aram ou Tahar Ben Djelloun expriment courageusement et dignement leur détresse devant cette démission qui, au fond, n’est rien d’autre qu’un signe de désarmement moral d’une société. Ils sont l’honneur de notre passé et l’assurance de notre futur. 

Que ceux qui hurlent avec la meute sachent qu’ils creusent leur propre tombe. Si Hamas, le Hezbollah, satellites du régime iranien que combattent héroïquement les femmes perses, venaient à étendre leur toile, ils pourraient bien en être des victimes expiatoires.

Naufrage israélien

Qu’en est-il du côté israélien ? 

On peut être rapide. La même dérive suicidaire prévaut. Qu’un prédateur comme Netanyahou, associé à des illuminés, ait pu s’imposer à un peuple dont on pensait que, parce qu’il avait justement connu l’indicible, il était à l’abri des tentations populistes, dit beaucoup de l’ampleur de la régression de la société israélienne. Le mouvement Paix maintenant est submergé par les appels à l’expansion des colonies au nom d’un messianisme délirant. 

De la même façon que Hamas est le fossoyeur du destin palestinien, les ultra-orthodoxes juifs sont objectivement les artisans de la destruction d’Israël. Deux théocraties sont en collaboration active pour ensevelir deux peuples. 

S’il est difficile de faire entendre la rationalité et la pondération dans les moments d’exaltation des haines, on peut du moins se taire et éviter d’accompagner le pire. C’est-à-dire de transférer à l’Iran le leadership du monde musulman, car c’est très exactement à cela que l’on est entrain d’assister. Dans l’immédiat, la cause palestinienne est bel et bien islamisée, c’est-à-dire durablement hypothéquée.

Pour l’instant, seule l’Arabie saoudite semble avoir trouvé une parole crédible. Riyad a sévèrement condamné Hamas qu’elle juge indigne de prétendre représenter un peuple, voire simplement de figurer dans le monde politique. Dans le même temps, le pouvoir saoudien a fermement rappelé que Tel Aviv a laissé passer toutes les opportunités qui pouvaient permettre un compromis israélo-palestinien, provoquant le discrédit des dirigeants palestiniens modernistes au profit de l’extrémisme qui vient de l’endeuiller. 

* A ceux qui argueront que l’assassinat du journaliste Kashogui ôte toute légitimité à MBS pour se poser en partisan de la raison, on peut répondre qu’il vaut mieux apprendre de ses fautes que les ensemencer.