jeudi, novembre 30, 2023
Débats

Algérie – France : plaidoyer pour une « diplomatie non gouvernementale » Par Mayas MESSIR*

Les relations algéro-françaises sont au plus bas depuis quelques mois. Dernier événement en date attestant de cette crispation diplomatique chronique : le camouflet algérien sur « l’affaire Annie Ernaux », cette écrivaine française, prix Nobel de la littérature, qui s’est vue refuser un visa d’entrée – avant le rétropédalage de dernière minute des autorités consulaires – en Algérie pour assister au Salon du livre international d’Alger (ou ce qu’il en reste !). La raison de ce refus ? La signature d’une tribune, dans le quotidien Le Monde, en faveur de la libération du journaliste algérien Ihsane El Kadi, condamné à sept ans de prison ferme pour « atteinte à la sécurité de l’Etat », dont le pourvoi en cassation a, très récemment, été rejeté par la Cour suprême. 

Méthode Couet macronienne

Cela étant dit, le prix Nobel de la littérature de l’édition 2022 n’est pas très éloignée des thèses officielles du régime algérien sur d’autres sujets, notamment sur le conflit israélo-palestinien, ce qui rend encore plus incompréhensible l’entêtement des autorités consulaires algériennes à lui délivrer, dans les délais, un visa d’entrée en Algérie, un événement qui pouvait devenir un relai intellectuel efficace pour le courant du populisme tiers-mondiste dont l’équipe dirigeante à Alger est l’un des tout premier sponsors. 

Ce énième incident n’a pas entamé la détermination du président de la République française qui a adressé pas moins de trois messages à son homologue algérien… en l’espace de deux mois. Le dernier en date remonte au 27 septembre dernier, au moment où le nouvel ambassadeur de France en Algérie, M. Stéphane Romatet, a remis ses lettres de créance au chef de l’Etat algérien et qui a saisi cette occasion pour transmettre « un message personnel » du préssident Emmanuel Macron à son homologue algérien. Le contenu de ce message n’a, à ce jour, pas encore été divulgué mais à en croire la station de radio Europe 1, souvent bien informée sur les questions franco-algériennes, le président français a convié, une nouvelle fois, Abdelmadjid Tebboune à une visite d’Etat en France. 

Rien n’a encore filtré côté algérien. Peut-être faudrait-il attendre le prochain entretien télévisuel périodique que le chef de l’Etat algérien accorde « à la presse nationale » ( des appareils médiatico-propagandistes relayant le discours officiel ) pour en savoir un peu plus quant à la réponse qui sera donnée à cette énième initiative de « réchauffement » des relations bilatérales. 

Francophobie obsessionnelle

Mais là n’est pas le sujet de cette contribution. Les raisons du blocage des relations diplomatiques algéro-françaises sont connues de tous. Elles ont, d’ailleurs, été longuement rappelées par le député MoDem de la 7e circonscription des Français établis à l’étranger et rapporteur pour avis du budget de la diplomatie culturelle ou d’influence, Frédéric Petit, qui a détaillé devant ses collègues de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, le fonctionnement de la coopération culturelle publique avec les autorités algériennes. Dans ce rapport de près de soixante-dix pages, M. Petit a constaté « la permanence des blocages de la relation bilatérale » avant de conclure sèchement que « toute approche strictement institutionnelle semble en effet buter irrémédiablement, en Algérie, sur des obstacles sans cesse renouvelés qui trouvent leur origine dans l’organisation même de l’Etat algérien ». Le ton est donné ! Loin de se limiter à ce constat partagé par tous les observateurs lucides sur le dossier algéro-français, le député tente d’apporter une solution qui tienne compte des réalités politiques des deux pays d’autant que la France continue tout de même d’entretenir une relation qui paraît, aux yeux de M. Petit, « toute aussi foisonnante au plan humain que dysfonctionnelle au plan politique ».

Seule, une « diplomatie non gouvernementale », axée sur la société civile algérienne, permettrait, aux yeux de M. Petit, de permettre à la France d’avoir un contact positif et structurant en Algérie. Ainsi, pour éviter les perpétuelles instrumentalisations politiciennes du passif colonial et la rhétorique islamo-populiste, côté algérien, ou encore la culpabilité post-coloniale et une autre forme de ressentiment, côté français, le député préconise que la diplomatie française se concentre sur la jeunesse algérienne, notamment les jeunes entrepreneurs ou encore la diaspora établie en France. Autant d’acteurs qui peuvent jouer un rôle déterminant dans la reconstruction d’une relation adulte et apaisée avec la France. Les élites francophones, et francophiles, ne manquent pas au sein de l’immigration algérienne établie en France même si celle-ci est médiatiquement invisibilisée par les agissements inciviques d’une partie conséquente des binationaux, abreuvés aux discours islamo-populistes et au ressentiment anti-français par les relais médiatico-intellectuels du régime algérien en France, et nationaux .

Des voix fécondes

Kamel Daoud, Boualem Sansal, Saïd Sadi, Razika Adnani et tant d’autres acteurs politiques, intellectuels et médiatiques essaient tant bien que mal de proposer, entre autres, un récit national alternatif à celui du régime algérien qui ne soit plus fondé sur le ressentiment anti-français ou l’instrumentalisation politicienne de l’histoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie. Faut-il aussi rappeler que l’un des points communs que partagent les différentes personnalités évoquées plus haut est leur langue d’usage : le français. Laquelle langue, ainsi que la culture qui en découle, que tous revendiquent comme faisant partie de leur identité, de « l’identité algérienne ». Sur d’autres sujets, comme la lutte contre l’islamisme et le communautarisme, la diaspora algérienne établie en France, majoritairement composée de personnes ayant fui les affres du djihadisme islamique algérien, peut être un rempart socio-culturel important. Le rapport de M. Petit atteste d’un début de lucidité d’une partie de la classe politique française sur la stérilité des relations diplomatiques institutionnelles. Cependant, la réflexion doit être prolongée au-delà de ce simple constat pour aboutir à une politique de coopération culturelle, économique et politique portant un nouveau projet de société alternatif à l’islamisme, à l’échec de la politique de l’assimilation, à la submersion migratoire et à tous ces maux qui rongent la société française. Car, comme l’a si bien rappelé l’ancien ambassadeur de France en Algérie (2008-2017), Xavier Driencourt : « Les relations avec l’Algérie sont, à la fois, un problème de politique extérieure et intérieure de la France ». Il est donc grand temps que les autorités françaises travaillent franchement avec l’élite francophone algérienne porteuse du projet démocratique en Algérie, qu’elle soit en France ou en Algérie. Ce projet existe, côté algérien ! Il a déjà été réactualisé par la génération d’avril 1980 qui avait concomitamment lié revendications culturelles (reconnaissance du berbère, pluralité linguistique, revendication de la langue et de la culture française et de l’arabe algérien) à une alternative politique axée sur la démocratie et la laïcité, autant de valeurs qui peuvent enfin rapprocher l’Algérie de la France loin des faux-semblants de la rhétorique exotique et tiers-mondiste.

*Mayas MESSIR, étudiant en Science politique à la Sorbonne, Paris

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