jeudi, novembre 30, 2023
Éditorial

Afrique du nord : la lourde récession morale

Les larmes versées par la tenniswoman tunisienne Ons Jaber sur les enfants gazaouis ont ému ses soutiens, les amateurs de la petite balle et, au-delà, d’autres personnes elles aussi bouleversées par des images insoutenables. A l’inverse d’un Benzema qui s’était déjà distingué par des propos ou des actes ambigus, nul ne peut douter de la sincérité de la Tunisienne au parcours exemplaire. Elle avait d’ailleurs expliqué que sa réaction n’avait rien de politique mais qu’elle était inspirée par une humanité blessée. Devons nous, pour autant, nous interdire de questionner cette sensibilité ? 

Ce qui pose problème en effet, c’est que lorsqu’ils ne profèrent pas des propos répréhensibles comme ceux de Youcef Atal ou Mahieddine Mekhsisi – dont les rétropédalages n’effacent pas les causes profondes qui les ont inspirés -, les sportifs de confession ou de culture musulmane n’ont pas exprimé le moindre ressenti après les horreurs commises par Hamas le 7 octobre où d’autres bébés avaient été sauvagement mutilés. Et jusque-là, aucune voix nord-africaine n’est venue relever le dangereux silence de notre élite sportive. Nous sommes donc bien devant une humanité inconsciemment et, quelques fois, délibérément communautarisée, c’est-à-dire mutilée et, de fait, mutilante. 

L’antisémitisme dans nos pays n’est pas nouveau. Qui n’a pas entendu un membre de sa famille parler du Ihudi, hachak ? ( le Juif sauf ton respect ). Mais à partir de la deuxième guerre mondiale les élites nationalistes nord-africaines, encore sous le joug colonialiste, se sont honorées en travaillant à l’affranchissement de leurs coreligionnaires des atavismes antisémites.

Le roi Mohamed V avait refusé de livrer les Juifs au gouvernement de Vichy, Bourguiba avait protégé la communauté juive et un paragraphe de la plate- forme de la Soummam – qui fut traduite en hébreu – invitait les Juifs algériens à se solidariser avec le peuple auquel ils étaient associés. Auparavant, des dirigeants algériens avaient appelé leurs compatriotes à ne pas acheter les biens des Juifs saisis par le régime vichyste et mis à vil prix sur le marché. 

Aujourd’hui, les postures de Kaïs Saïed, du régime algérien ou celles des islamistes marocains jurent avec les options et les décisions adoptées par les responsables nationaux des trois pays au vingtième siècle. Il y a bien un vertigineux recul politique et un inquiétant désarmement moral de nos sociétés. Le premier novembre, le mouvement islamiste Hamas s’est approprié l’appel à la guerre de Libération algérienne auquel il vient de s’assimiler. « La guerre de Libération n’est pas une guerre de religion avaient proclamé les congressistes de la Soummam ». Au moment où nous mettons en ligne, aucune institution ne s’est indignée de cet hold-up et n’a rappelé que les Algériens ne se sont pas soulevés pour instaurer l’ordre théocratique que subissent les Gazaouis ; une perversion politique que la nation a combattu au prix fort dans les années 90. Ce mutisme officiel vient s’ajouter à d’autres, soulignant une récession et qui ne semble épargner aucune catégorie, et, finalement, aucun des trois pays. 

Si Hamas ou un régime similaire arrivait au pouvoir, Ons Jaber aurait quelques difficultés à se montrer sur un terrain de tennis, d’autres Katia Bengana tomberont en Algérie et les modestes avancées de la moudawana marocaine seraient vite abolies.  

En attendant, les Palestiniens ont été et restent les premières victimes du régime qui sévit depuis 2006 à Gaza. Certains diront que les appels à la vigilance et la lucidité ont peu de chance d’être entendus dans la furie qui embrase et brouille les esprits. Raison de plus pour les répéter.

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